Bali - Indonesia.
Nous voilà à peine un pied posé sur le sol indonésien qu'il nous faut nous deshabituer dare dare de l'accent nasillard australien que nous avions eu tant de mal à comprendre il y a trois mois, pour la phonétique tout à fait particulière de l'Indonésie. L'anglais ici devient excessivement facile, plus de conjugaison, plus de grammaire, seulement des mots qui s'enchaînent comme des perles le long d'un collier. Seule difficulté : L'accent. Ici, tous les V et F sont systématiquement prononcés P, tandis que les P sont majoritairement prononcés F. Les ch et sh quant à eux sont prononcés s, mais les C font tche. Les R, fortement roulés comme il se doit et la fin des mots n'est pas prononcée, tout simplement.
Donc, si on vous propose une salade de Press Prout, acceptez, il s'agit de fruits frais absolument délicieux. Le Press Piss, pêché le matin même est aussi un régal. Quand on vous demande d'où vous venez, dites Peranssis, qui veut dire France. Berri sip means very cheap, and berri rix, very rich. Por Man means Four months... Sic is six, sepen, seven, berri oull, very old. Haffi veut bien-sûr dire happy. "Pull body massass and piss berri sip, oull tradissi", veut dire que l'on vous propose un massage du corps et du visage, selon l'ancienne tradition pour un prix très modique ! Autant dire que l'on a parfois quelques difficultés à tout comprendre. Après avoir tant et tant insisté sur l'accent auprès des enfants, leur disant que l'accent était primordial en anglais, ils ouvrent de grands yeux ronds en nous entendant roucouler en un sabir mâtiné d'indonésien (mais que les gens du cru semblent particulièrement apprécier).
En tout cas, cela nous offre l'occasion de quelques belles bosses de rire et quel bonheur de retrouver un pays de culture après trois mois de bush australien ! Ici le raffinement est poussé à son extrême et la rue est un savoureux mélange de temples, offrandes aux dieux, art excessivement sophistiqué et cloaque (pour rester polie). Idem au niveau des odeurs qui assaillent notre narine lors de nos sorties en ville. Un délicieux amalgame de remugles d'égout et de l'arôme suave des fleurs de frangipaniers. Quelque chose de très exotique ! On adore !
Nous nous plongeons petit à petit dans la langue indonésienne (un peu contraints et forcés car notre chauffeur de Flores ne parlait pas un mot d'anglais !). Il faut admettre que c'est la langue la plus facile du monde à apprendre : pas de grammaire, pas de conjugaison, seulement du vocabulaire. Inventée ex-nihilo, il y a un demi-siècle, elle a été pensée pour servir de point commun à des peuples qui n’en ont guère. En effet, qu'est-ce que partagent un papou et un balinais, un bajao (gitan de la mer) avec un mentawaï (homme fleur de Siberut à l'ouest de Sumatra), si ce n'est qu'ils vivent tous dans cet archipel de presque vingt milles îles, le plus grand du monde, nommé Indonésie.
Nous avons commencé notre périple dans cette belle partie du monde par une immersion immédiate à Flores, puis Komodo pour y voir les fameux dragons qui ont tant fait rêver Myrdhin et Rinca. Flores est somptueuse, surtout pour des amoureux de forêts comme nous. On y trouve des bambous géants, des hibiscus sauvages, des orchidées à foison, des alocasias le long des route, des rafflesias, des alamandas et toutes sortes de plantes merveilleuses avec un taux d'endémisme record. Il nous faut cinq jours de route pour traverser l'île depuis Maumere jusqu'à Labuhan Bajo, d'où nous embarquons pour Komodo. Le bateau, traditionnel, nous attend au port, un peu à l'écart de l'agitation incessante des docks. Le chant des muezzins se répondant d'un minaret à l'autre rythme la nuit et concurrence l'appel lancinant des crapauds cherchant leur princesse. L'impression de faire un merveilleux voyage dans le temps. De plonger dans un roman d'Henry de Monfreid. On se sent pousser une âme d'aventurier et l'on se répète à l'envi ces magnifiques vers de Jose-Maria de Heredia, pour soi, rien que pour soi.
... chaque soir, espérant des lendemains épiques
l'azur phosphorescent de la mer des tropiques,
enchantait (nos) sommeils de mirages dorés
où, penchés à l’avant des blanches caravelles
(nous) regardions monter en un ciel ignoré
du fond de l’océan, des étoiles nouvelles...