From Luc !
« Vite avant que ça ne se termine ! »
1er paragraphe :
Encore un voyage où les cartes postales que j’ai envie d’écrire, picorées dans les présentoirs de quelques bouts du monde, s’entassent dans mon sac.
Comme d’habitude la plupart feront le voyage jusqu’à notre maison et seront envoyées…de Bretagne ! ou resteront dans un fond de malle parce que la vie « normale » aura repris ses droits.
La faute, en Australie, à des journées de « rouletabille » bien denses entre tournage, crapahute, devoirs, et quelques centaines de kilomètres à faire avaler au compteur, pour avoir l’impression d’avancer dans cet immense territoire où il faut plus d’un milliard de bonds de kangourous pour en faire le tour !
Alors le soir les deux neurones à peu près valides qui restaient étaient tout juste bons à m’aider pour me brosser les dents avant que mes yeux ne se ferment.
Pas suffisamment valides en tout cas pour coucher sur ces petits bouts de cartons une prose assez belle pour raconter tous les bons moments de vagabondage naturaliste que nous avons partagés en famille.
2ème paragraphe :
Le 1er paragraphe a été écrit voilà plus d’un mois, et le voyage se termine dans deux jours….autant dire que je vais avoir du mal à rattraper mon retard d’écriture sur les pages de ce blog, heureusement que Myriam a assuré.
J’ai donc juste le temps de vous rédiger ce qui pourrait remplir une bonne petite carte postale ! (…..car ce qui a été écrit au 1er paragraphe se confirme , nous sommes encore logés loin d’un présentoir de cartes postales et loin d’une poste, avec les devoirs des enfants à suivre….internet sera donc le facteur de cette missive, désolé pour les collectionneurs de timbres….)
« Ce voyage a été très riche en émotions :
des éclats de rire devant les grimaces d’un singe, perché à 5 mètres sur une branche de figuier en Afrique ;
De l’aventure avec Myrdhin qui veut sortir de sa tente à 6h du matin pour faire pipi, mais qui doit se retenir à cause d’un éléphant qui mange des dattes à 3 mètres de la fermeture éclair de sa moustiquaire !
Du bonheur en plein désert quand un suricate sauvage monte enfin sur la tête d’Esther. Elle s’est immobilisée comme un caillou pendant plus d’un quart d’heure, pour procurer au petit mammifère un poste d’observation en hauteur, alors qu’il tient son tour de garde pour scruter les prédateurs.
De la fatigue heureuse, après plusieurs levers à 4h du matin pour aller filmer les kangourous à pattes jaunes qui vivent dans les rochers ; de la fatigue encore, physique celle –ci, pour aller filmer les kiwis en pleine nuit sur les plages de Stewart Island, après six cents kilomètres de route et une traversée en bateau pleine de vagues ;
Des moments de tension aussi bien sûr, dus aux différents états de fatigue cumulés, et à l’alchimie particulière de nos caractères ! : entre papa maman et les enfants, entre les enfants, entre les parents, je crois que nous avons essayé toutes les combinaisons possibles !
Au delà des découvertes, voir nos enfants grandir, jour après jour pendant presque sept mois, est le plus beau des trésors que je ramène.
Il était temps ! :
« Papa , son métier c’est d’aller sur des plages au bout du monde pour boire un verre avec ses copains ! », voilà ce qu’avait répondu Myrdhin plus jeune à sa maîtresse quand elle demandait à ses élèves le métier de leur parents.
Je revenais effectivement de trois mois passés sur Clipperton, une toute petite île déserte perdue en plein Pacifique, pour filmer la vie sauvage, fous de bassans et crabes pour l’essentiel. Une quarantaine de scientifiques étaient présents, et avec l’ingénieur du son , Jean-Baptiste Benoit, nous avions monté un bar de plage avec les bois flottés qui jonchaient la plage. Les premières photos que Myrdhin a vues après mon retour étaient celles prises autour de ce bar improvisé sur le sable……il était temps de lui faire découvrir les autres facettes de mon travail !
Esther elle commençait à voler de ses propres ailes vers l’adolescence et j’avais envie d’accompagner ce bel oiseau migrateur avant de la voir disparaître à l’horizon.
J’avais envie d’enraciner nos complicités de demain dans un beau présent, à partager ensemble.
En Afrique nous avons descendu le fleuve Okavango sur une barque à moteur, caressant avec les vaguelettes de notre sillage les pattes des animaux qui venaient s’abreuver : girafes, impalas, antilopes, éléphanteaux….Le soir les cieux étoilés étaient notre toit, et les sons des hippopotames accompagnaient nos assoupissements.
J’ai découvert de nouvelles expressions sur les visages de nos enfants, un mélange d’ébahissement, de bonheur, et d’excitation.
En Nouvelle-Zélande, nous avons eu l’impression d’être installés depuis deux ou trois ans. Pour la première fois nous avons échangé maison et voiture avec les gens du pays ; leurs voisins, leurs amis nous attendaient et nous ont fait la fête. (Et merci à toute notre petite bande qui a fait de même chez nous pour les kiwis et les australiens qui ont débarqué au bas guihermoux !).
Impossible d’aller au lit à une heure raisonnable, et quand ce n’était pas un repas chez les uns ou chez les autres, c’était une tournée de bière ou de vin blanc pour regarder un match de rugby qui nous tenait éveillés, coupe du monde oblige.
« tenez voici les clés de notre maison de bord de mer, allez y faire un tour ! » « On passe vous prendre demain pour une rando dans les collines? » « Ce week-end on part à la campagne, venez dormir chez nous » »Passez au collège, on verra comment faire si un jour vos enfants veulent venir étudier ici »….en bref, il aurait suffit d’un peu de folie supplémentaire pour définitivement s’installer en Nouvelle-Zélande !!
En Australie, pays où nous nous étions rencontrés avec Myriam il y a 20 ans à l’occasion d’une expédition de deux mois à cheval, les enfants ont dû changer d’échelle….
»notre pays, nous dit un gars du bush, c’est quelques beaux endroits avec beaucoup de rien entre eux ! », « beaucoup de rien » ça veut parfois dire cinq, six cents , mille kilomètres.
La vision est marquée par les 50 degrés qui font danser les herbes un jour sans vent.
A l’horizon, les seuls châteaux que nous apercevons sont des silos à grains….silhouettes massives sur de longues, très longues houles de blé . C’est dire si le manque d’histoire est une évidence.
La culture, elle, essaie de se faire une place dans quelques rues de Sydney, Melbourne, Brisbane, Adelaïde,….. mais les premiers artistes du pays sont les économistes qui peignent le pays aux couleurs de leur dollar, devenu plus fort que le dollar américain.
L’Australie est belle, une gourde dans une main, une boussole, une paire de jumelles dans l’autre. Nous avons filmé sans relâche au contact des kangourous, wombats, koalas, perruches, iguanes, crocodiles, …..Esther a appris comment monter une grue de tournage pour y fixer une caméra, découper en plans un scénario, choisir les angles de prise de vue et la focale correspondante à une action ; Myrdhin a appris que ce métier ne consistait pas seulement à boire des cocktails sur une plage mais aussi à préparer ses caméras alors qu’il fait encore nuit, à repérer les lieux de tournage, à oublier les grasses matinées , à suivre la piste d’un animal dans des terrains ingrats, à supporter la pluie ou la chaleur sans rebrousser chemin, à apprendre à se taire au moment du « contact » ! et à nettoyer son matériel, visionner, décharger ses images sur disque dur jusqu’au bout de la nuit.
Myrdhin et Esther ont même mis en pratique les cours de théâtre qu’ils prenaient depuis trois, quatre ans , nous avons tourné un cours métrage où « petit crocodile Dundee » alias Myrdhin erre avec un mystérieux os d’animal à la recherche de son propriétaire. L’occasion de beaux fous rires, …..et de leçons pratiques de tournage. Il tarde surtout aux enfants de monter le bêtisier !!!
En Indonésie, Myriam et moi marchions à nouveau dans nos pas, sur la plage de Padang bay, à Bali où nous avions fait escale après notre expédition en Australie en 1991.
Nous avons retrouvé Thierry Robinet, un ami , marié avec une balinaise, qui vit dans l’île depuis plus de 16 ans. Avec lui j’ai tourné de nombreux documentaires, et nous avons repris la mer ensemble, avec Myriam et les enfants pour aller voir les dragons de Komodo sur leur archipel, un lieu nominé sur la liste des sept nouvelles merveilles du monde.
Une dernière occasion de sortir les caméras de leurs sacs. Un voyage dans le temps aussi, assis sur le bastingage d’un vieux bateau en bois comme il devait déjà en exister au 19ème siècle, l’ancre massive en métal, pendue au-dessus des flots, jouant avec l’écume de l’étrave .
Le cuivre des hublots reflétant les ombres des milliers d’îles qui empêchent l’horizon de s’étirer à l’infini ; ces innombrables perles de roches et de jungle accrochent la lumière des couchers de soleil pour le rendre plus beau.
C’est un des seuls moments où j’ai pu avancer la délicieuse lecture des « sept portes du monde », contant l’histoire d’un breton de Vitré qui aurait fait le premier tour du monde au 16ème siècle !
En marge au crayon gras sont maintenant notés sur ce livre quelques noms de rues et d’édifices de Vitré. Ils seront les prétextes de nouveaux vagabondages dès notre retour en France.
Finalement heureusement que je n’ai pas écrit tout cela sur une carte postale !
Je vous embrasse toutes et tous.
Note :
En vingt ans de vie commune, et à cause de mes tournages au-delà de l’horizon, nous n’avons jamais pu vivre sept mois ensemble avec Myriam, l’expérience était osée !
Mais nous sommes partis un samedi et nous rentrons un dimanche ; occupés à observer la nature, la vie et nos enfants nous avons franchi le mur du temps et les jours sont devenus des secondes intenses, un week-end passionné en quelque sorte….on fait quoi le week-end prochain ?!